Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Valeri Crenshaw. J’ai grandi au milieu des chevaux et en élevant du bétail dans le ranch familial dans les Flint Hills du Kansas aux États-Unis. C’est lors d’un voyage en Égypte en 1992 que j’ai vu des chameaux pour la première fois. C’était dans le désert du Sahara (à la frontière libyenne) et ça été le coup de foudre. En 2006, mon père m’a surpris avec deux dromadaires. C’est à ce moment-là que tous mes rêves étaient devenus réalité. J’étais enfin devenue chamelière et le début d’une grande passion.
Quel est votre parcours professionnel ?
À l’université, j’ai étudié le journalisme et la psychologie. Aujourd’hui je gagne ma vie en tant que psychologue. En dehors du travail, je passe mon temps avec mes chameaux et je me documente énormément à leur sujet afin de mieux les connaître. Je suis également une collectionneuse d’affaires en tout genre en lien avec les chameaux. Enfin, je voyage partout dans le monde pour découvrir et assister aux événements et autres festivals camelins.
Dans quelle ville habitez-vous actuellement ?
Actuellement, je partage mon temps entre ma maison de ville à Kansas City dans le Missouri et le ranch familial près de Manhattan dans le Kansas. (NDLR : il y a environ 2 heures de route entre les deux villes)
D’où vous est venu cet amour pour les chameaux ?
J’ai grandi entourée d’animaux et j’aime être autour d’eux depuis que je suis très jeune. Puis, ce voyage à l’étranger avec mon père et ce moment cocasse dans le désert du Sahara m’ont ouvert les yeux sur les chameaux. En effet, alors que nous traversions le désert en voiture, j’ai dit : « Regarde Papa, ce sont des chameaux ? » Mon père a rapidement jeté un coup d’œil par la fenêtre et a répondu : « Non, ce sont des derricks » (bâti métallique servant à forer les puits de pétrole). À ce moment-là, l’un des « derricks » leva la tête et nous regarda. Mon père et moi avons éclaté de rire et j’ai ressenti comme un déclic dans mon for intérieur.
Possédez-vous des chameaux ? si oui, combien ?
Je possède actuellement 5 chameaux : Alger (7 ans), Raika (1 an et demi) et Sadri (1 an). Mes deux autres chameaux s’appellent Damas et Suez. Je les accueillerai au Shamrock Farms une fois qu’ils seront aptes. Ils sont actuellement dans une laiterie cameline dans le Colorado.
Vous préférez les chameaux à 1 bosse (Camelus dromedarius) ou à 2 bosses (Camelus bactrianus) ?
Je n’ai jamais rencontré de chameaux pour lesquels je n’ai pas eu de coup de cœur. Qu’il porte une ou deux bosses, pour moi un chameau est un chameau. Mais si je devais choisir, je dirais les dromadaires parce qu’ils me rappellent l’ambiance d’une oasis dans le désert. Avec tout autour des dattiers, un minaret, l’appel à la prière qui raisonne, des petites tasses de thé à la menthe, l’encens qui brûle dans les traversées du souq d’à côté avec ses couleurs et ses animations…
Parmi les merveilles anatomiques et physiologiques du chameau, laquelle vous fascine le plus ?
Je considère les chameaux comme des animaux merveilleux dans leur ensemble. Leur capacité à s’adapter à presque toutes les conditions climatiques ne cesse de me fasciner.
Au Kansas, nous avons des hivers rudes où les températures peuvent chuter jusqu’à -30°C avec du blizzard, des eaux gelées et des vents violents. Mais les chameaux restent imperturbables. Ils peuvent même s’allonger dans la neige, avec des morceaux de glace sur leurs longs cils et de la neige tassée sur le dos tout en mâchant calmement leur nourriture.
En été, les températures peuvent atteindre voire dépasser les 38°C mais les chameaux se baladent sans aucune gêne.
Pour être honnête, j’aimerais bien savoir comment faire pour avoir les mêmes cils qu’eux…
Quel est votre plus beau souvenir avec un chameau ?
J’en ai énormément. Je repense souvent à ces excursions à dos de chameaux à travers le Wadi Rum de Jordanie. Ou encore le fait de tisser un lien puissant en dressant des chameaux dans les steppes de Mongolie. Les traversées dans le désert du Thar avec les Raika (tribu du Rajasthan connue pour leur chameaux) pour emmener un troupeau de chameaux à la foire de Pushkar. Mais je ressens aussi une grande satisfaction à simplement marcher avec mes chameaux autour du Shamrock Farms.
Si je devais choisir le plus beau souvenir, ce serait le jour où les premiers chameaux sont arrivés au Shamrock Farms. Soit le jour où je suis devenue officiellement chamelière. Je suis tombée éperdument amoureuse de ces deux chameaux et ils ont littéralement changé ma vie.
Quel est votre « pire » souvenir avec un chameau ?
Tous les propriétaires de chameaux vous le diront : on crée un lien puissant et on partage des moments forts avec nos animaux. Ce grand amour envers eux nous rendent tous sensibles à l’horrible douleur qui surgit lors de la perte de l’un d’entre eux.
J’ai connu 3 pertes et à chaque fois je n’étais pas préparée au chagrin et à la douleur qui ont suivi. L’un des moments les plus difficiles a été de voir l’un de mes chameaux éprouver du chagrin après la mort de son meilleur copain. Déjà que j’étais inconsolable, voir un autre de mes chameaux en souffrir tout autant n’a fait que rendre les choses beaucoup plus difficiles. Aujourd’hui encore j’ai du mal à en parler sans verser une larme.
Quelle est votre plus grande réussite/fierté dans le monde de ces grands camélidés ?
Je n’ai vraiment pas l’impression d’avoir fait quelque chose de grandiose dans le monde du chameau. Je ne suis qu’une passionnée qui en apprend tous les jours. Une simple défenseure et observatrice. Je pense que mes plus grands objectifs sont d’une part de m’assurer que mes chameaux vivent la meilleure vie possible et d’autre part de contribuer à aider les futurs vétérinaires à pouvoir approcher et manipuler des chameaux. Ceci afin qu’ils puissent un jour fournir aux chameaux des soins de santé optimaux.
Quel est votre plus grand échec/déception dans l’univers de ces grands camélidés ?
Être propriétaire de chameau aux États-Unis signifie que vous devez être très attentif et constamment enrichir vos connaissances. Qu’il s’agisse de leur élevage, de leurs besoins nutritionnels et de leurs besoins en soin de santé. J’aimerais beaucoup participer à la rédaction d’un manuel complet qui fournirait des informations basiques sur les soins et la manipulation des chameaux pour les éleveurs vivant en Amérique du Nord. J’aimerais aussi mettre en place un meilleur réseau entre les vétérinaires spécialisés dans la santé des chameaux. Et pour renforcer ces deux aspects, ce serait formidable que des produits issus des camélidés soient plus accessibles aux États-Unis tels que le lait de chamelle, les compléments alimentaires et les médicaments.
Décrivez-nous une journée type de votre quotidien ?
Mes journées varient considérablement en fonction du jour de la semaine. La première moitié de la semaine, je vis en ville où je dois travailler et adopté un style vestimentaire de bureau. Tout en espérant que la journée se ponctue par un dîner dans un bon restaurant. Le reste de la semaine, je suis au Shamrock Farms où je porte mon bleu de travail et des chapeaux de cowgirl. Je suis en général couverte de terre et je vois rarement des gens en dehors des membres de ma famille.
Quand je suis au ranch, j’aide mon père avec toutes les tâches quotidiennes (l’élevage du bétail, le transport du foin, la gestion des pâturages et l’aménagement de la verdure). Lorsque les corvées sont terminées, je passe aux chameaux jusqu’à ce que je tombe de fatigue. Les chameaux ont besoin d’attention. C’est pourquoi je passe du temps à les brosser, marcher auprès d’eux et les chouchouter.
Buvez-vous du lait de chamelle quotidiennement ?
OUI ! Je bois du lait de chamelle cru et non pasteurisé tous les jours. J’utilise également des produits pour la peau à base de lait de chamelle tels que la crème pour les yeux, du nettoyant, du sérum et de la crème hydratante. J’utilise du gel douche et des lotions pour le corps à base de lait de chamelle. Je viens même de commencer à utiliser un shampooing et un après-shampoing au lait de chamelle pour mes cheveux. J’ai toujours sur moi du baume à lèvres au lait de chamelle. J’ai même des baumes au lait de chamelle pour les membres de ma famille qui cherchent à atténuer leur eczéma.
Quelle est votre recette ou plat préféré à base de lait de chamelle ?
Je ne suis pas bonne cuisinière car je préfère être dehors que dans ma cuisine. Alors je compte sur les autres pour perfectionner les recettes au lait de chamelle. Certains des meilleurs cheesecakes que j’ai pu goûter ont été fabriqués par Ilse Kohler-Rollefson au Camel Charisma au Rajasthan. Elle fait également un délicieux fromage au lait de chamelle.
Mais ce que je préfère, c’est lorsque les Raika traient une chamelle et mettent directement le lait sur le feu quelques secondes pour faire du chaï (thé). Un vrai délice !
Qu’aimeriez-vous voir se développer ou s’améliorer dans le futur pour les chameaux ?
L’avenir des camélidés est prometteur. J’aimerais donc voir plus de recherches à leur sujet. Comme par exemple les meilleures façons d’en prendre soin ou leur élevage de manière générale. En Amérique, nous luttons beaucoup contre les problèmes de parasites. Avec de la prévention, nous pourrions ainsi mieux anticiper ces problèmes. De plus, nous n’avons pas non plus accès à l’insémination artificielle, aux transferts d’embryons ou à la fécondation in vitro pour nos chameaux. Le taux de mortalité des chamelons est pharamineux par rapport aux animaux des autres élevages.
Cette science existe mais concrètement rien n’a encore été mis en place pour faire progresser la science cameline aux États-Unis. Ce serait formidable de pouvoir travailler avec les universités et les pays du Golfe qui sont en avance sur le sujet. Notamment avec des structures comme l’ICO (Organisation Internationale des chameaux) afin de changer cela. Les chameaux vivant en Amérique du Nord méritent des traitements et des soins de santé modernes.
Comment pouvons-nous contribuer au développement culturel voire socio-économique des chameaux à travers le monde ?
Être passionné par les chameaux fait naturellement de vous un défenseur de leur cause. J’espère voir les passionnés du chameau se rassembler au sein d’associations comme la North American Camel Ranch Owners Association, l’Organisation internationale des chameaux et les associations européennes de chameaux (FFC, FFDCFE, ECROA) pour promouvoir ces animaux à tous les niveaux :
• sanitaire
• culturel : en particulier ceux qui luttent dans leurs propres pays comme les Raika en Inde
• éducatif : faire découvrir les bienfaits des produits issus des camélidés comme le lait de chamelle.
La force de ces organisations et associations est une lueur d’espoir pour l’avenir des chameaux.
Pourquoi selon-vous les chameaux seraient l’une des solutions à exploiter dans la transition écologique ?
Les chameaux sont robustes qui s’adaptent à tout type d’environnement. Cela ouvre des portes et nous aide à trouver des solutions en ces temps difficiles. c’est également une ressource pour produire des aliments durables. Les chercheurs les suivent de près et publient de plus en plus d’articles scientifiques à leur sujet. Les chameaux vont certainement contribuer à l’amélioration de la santé humaine.
Par ailleurs, on peut les utiliser pour sensibiliser le public sur l’environnement. Ils facilitent aussi l’accès à l’éducation. En effet, ils servent de bibliobus au Pakistan et en Afrique pour apporter des livres dans les régions les plus reculées. Il faut juste prendre en compte leur apport historique et leur capacité d’adaptation pour mieux définir l’élevage et comment bien coexister avec les animaux.
Vous êtes active sur les réseaux sociaux, que préférez-vous voir sur ces réseaux ?
Il suffit d’une seconde pour se rendre compte que mon activité sur les réseaux sociaux se résume aux publications et aux articles de presse sur les chameaux. Je cherche continuellement de nouvelles informations sur les chameaux, à rencontrer des passionnés partageant les mêmes idées, de voir comment mieux prendre soin de mes chameaux et de découvrir des événements internationaux de chameaux.
Où pouvons-nous suivre vos aventures et retrouver vos activités/publications/articles ?
J’ai une page Facebook (Valeri Crenshaw) et notre ranch familial a deux pages partagent nos aventures quotidiennes (Shamrock Farms et Shamrock Cafe).
J’ai tendance à segmenter soigneusement les parties de ma vie dans de petites boîtes soignées, donc sur Instagram, j’ai une page pour mes voyages (Valerispassport), une page pour ma collection de chameau (Camel.lady) et enfin une page qui couvre juste mes intérêts quotidiens (valericrenshaw).
Lorsque je voyage, je tiens un blog de voyage.
J’ai aussi un blog sur la vie avec des chameaux : cameltalesandshamrocks. Pour finir, j’ai également Twitter mais je suis encore novice sur ce réseau : Camel Queen.
Un mot de la fin pour les amateurs de chameaux ou ceux qui ne connaissent pas encore cet animal ?
À ces nouveaux passionnés de chameaux, je leur ferai un câlin et je leur dirai « bienvenue dans la famille ». Ceux qui partagent cette passion ont vraiment conscience de ce qui nous anime intérieurement. Donc lorsqu’on rencontre des gens sur la même longueur d’onde, un lien se crée naturellement.
Faire partie de la communauté des chameaux, même à l’échelle internationale, donne l’impression d’appartenir à une même famille. À quelqu’un qui ne connaît pas bien les chameaux, je dirais qu’il faut faire preuve de prudence. Votre vie ne sera plus jamais la même une fois qu’ils s’y dandineront dedans et auront volé votre cœur.
0 Commentaire pour “Valeri CRENSHAW, une camel-girl au pays des cow-boys”